Inuit sur son traîneau à chiens au Groenland

En immersion En immersion avec les Inuits au Groenland

Même si les premiers habitants du Groenland remontent à -2500 av JC avec la culture Saqqaq, nous nous intéressons ici aux Inuits, ascendants directs des Groenlandais d’aujourd’hui. Arrivés au XIIIᵉ siècle d’Alaska et du Canada, ils s’établissent à Thulé, dans le nord du Groenland. Pierre, guide au Groenland, est tombé amoureux de ce pays et de ce peuple et nous partage, au travers de cet article, ses connaissances et son expérience avec les Groenlandais et leur culture.
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Un peuple ingénieux face à un environnement difficile

En 1300, un refroidissement brutal contraint les Inuits, initialement installés dans le nord du Groenland, à migrer vers le sud. Ces conditions climatiques rudes vont durer jusqu’au XXᵉ siècle, les contraignant à s’adapter et à développer des techniques pour survivre. Les inuits du Groenland sont l’un des seuls peuples de la planète à n’avoir jamais développé l’élevage ou l’agriculture ! Ils doivent leur survie presque exclusivement à la chasse et à la pêche et un peu à la cueillette. Comme le raconte Pierre, guide au Groenland, “ce sont les seules personnes que j’aie rencontrées qui, quand elles partent plusieurs jours en traîneau ou en bateau, n’emmènent que du fil, des hameçons ou un fusil ! Ils sont tellement doués à la chasse et à la pêche, qu’ils ne voient pas l’intérêt d’emmener de la nourriture avec eux.”
Bien sûr, lorsqu’un phoque ou un ours est chassé, il ne l’est pas uniquement pour sa nourriture. Tout, absolument tout, sert dans l’animal ! Si nous connaissons la fabrication des chaussures et des vêtements avec la peau de l’ours ou encore d’outils avec les os, nous connaissons beaucoup moins tout ce qu’il est possible de faire avec un phoque !Les Groenlandais utilisaient le gras du phoque pour se chauffer et s’éclairer mais de manière plus surprenante, leur intestin grêle pour fabriquer les vitres des habitations ! Comme l’explique Pierre, “une fois l’intestin ouvert, nettoyé, séché et étiré au maximum pour le rendre le plus fin possible (afin de laisser passer la lumière). Les bandelettes ainsi obtenues étaient cousues entre elles pour faire une sorte de “carré de peau”, qui était tendu sur un cadre de bois et faisait ainsi une fenêtre”. Lors de votre voyage au Groenland sur la côte est, ne manquez pas le musée de Tasiilaq, où vous pourrez admirer un canoë entièrement fait avec du phoque !
Cela démontre des capacités d’adaptation extraordinaires mais également une gestion des ressources raisonnée. Ils chassent et pêchent juste ce qu’ils ont besoin et ne gâchent absolument rien dans l’animal. 
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Un peuple aux traditions ancestrales ancrées

La chasse et la pêche

Comme évoqué précédemment, la chasse et la pêche font partie des traditions qui perdurent au Groenland. Parmi les plus caractéristiques, on peut citer la chasse au narval. Les hommes partent en kayak, et le premier coup doit être donné à la main, au harpon. Seulement ensuite, ils peuvent être aidés par d’autres chasseurs munis de fusils. Comme le raconte Pierre, “l’estomac de phoque était utilisé pour fabriquer le flotteur qui était attaché à la pointe du harpon via une longue lanière de cuir. Ce flotteur permettait de gêner la plongée et la fuite d’un narval (ou autre baleine) harponné, le ramenant sans cesse à la surface. Ce qui l’épuisait rapidement et permettait ainsi aux chausseurs d’achever l’animal facilement.”

Pour l’ours, la chasse s’effectue en traineau et avec un fusil et elle est très réglementée. Un quota de 150 ours est autorisé chaque année pour le pays, avec une répartition selon les régions. La chasse à l’ours n’est autorisée qu’en hiver. Comme elle se réalise en traineau, elle commence dès lors que la banquise est formée et jusqu’à ce qu’elle se brise. Comme le précise Pierre, “si un ours est tué hors de la période de chasse pour une question d’urgence ou de selfdefense, l’animal est confisqué par les autorités pour supprimer toute envie de braconner chez les groenlandais.”

La chasse et la pêche sont des activités réservées aux hommes. Les femmes, quant à elles, s’occupent de confectionner des vêtements et des chaussures avec les peaux. Comme précisé précédemment, tout est utilisé dans l’animal. Si les peaux sont réservées pour l’habillement, les os sont destinés à être sculptés. Ils représentent des animaux arctiques, des scènes de la vie quotidienne ou plus généralement des êtres maléfiques, appelés “tupilaks”.
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La cuisine

Peu variée, la cuisine groenlandaise repose sur les animaux issus de la chasse et de la pêche, souvent sous forme bouillie, crue ou séchée.Un des plats les plus connus est le “kiviak”. Il s’agit de mergules, petits oiseaux marins, qui fermentent plusieurs mois dans une carcasse de phoque. Préparé l’été, le “kiviak” est mangé l’hiver.
Un des autres mets apprécié au Groenland est le “mattak”, morceau de peau et de gras de baleine, de bélouga ou de narval. Grande source de vitamine C, il était mangé à l’origine pour éviter le scorbut. Aujourd’hui, les enfants le mangent comme une friandise tandis que les hommes en mangent après la chasse, lors de la découpe des animaux.
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Le chien de traineaux

Qu’il s’agisse du traineau en lui-même, de la disposition de l’attelage ou encore des chiens, le chien de traineaux est bien différent de ce que l’on connaît, comme nous l’explique Pierre.“Les traîneaux groenlandais sont totalement différents de ceux qu’on a l’habitude de voir en Europe ou au Canada. Nos traîneaux sont fins, légers, conçus pour la vitesse et la manœuvrabilité entre les arbres, et surtout, ils ont des patins pour se tenir debout à l’arrière.C’est en jouant avec le poids de son corps que le musher va pouvoir “conduire” au mieux pour éviter les obstacles. Les traîneaux groenlandais n’ont rien à voir, ce sont de longues et larges plateformes en bois, robustes et lourdes, faites pour transporter la famille, du matériel ou du gibier. Les patins ne dépassent pas de l’arrière de la plateforme car les groenlandais dirigent leur attelage au fouet et assis sur le traîneau.

Le fouet peut être long de plusieurs mètres et est constitué d’un manche en bois et d’une longue lanière de cuir. Son maniement relève de l’art et découle d’une longue expérience car il faut être capable de faire claquer le fouet au plus proche des chiens pour les faire tourner à gauche ou à droite sans les blesser. Contrairement aux traîneaux occidentaux, il n’y a pas de frein sur les traîneaux groenlandais, il faut donc que les chiens soient parfaitement dressés pour obéir aux ordres du musher lorsqu’il veut s’arrêter.

Les attelages sont aussi différents. Quand les chiens occidentaux sont disposés le plus souvent par paires les unes derrière les autres pour garder une étroitesse maximale et slalomer plus facilement entre les arbres, les chiens groenlandais sont disposés en éventail et chacun d’entre eux est relié au traîneau par une ligne de trait individuelle. L’absence totale d’arbre au Groenland favorise cette disposition.
Cela a plusieurs avantages :
  •  la force de traction est mieux répartie,
  •  si un chien tombe dans un trou d’eau sur la banquise, il n’entraîne pas tous les autres avec lui, contrairement aux attelages occidentaux où tous les chiens sont solidaires,
  •  si un chien se blesse pendant la course, ou devient trop fatigué, la ligne peut être rapidement coupée pour que le chien blessé ne ralentisse pas les autres. Le chien suivra alors de loin ou sera pris sur le traîneau par le musher.

L’inconvénient principal est qu’il est impossible d’empêcher les chiens de se mélanger et de former alors des énormes nœuds de lignes de trait que les groenlandais passent beaucoup de temps à démêler.”

Véritable institution, les courses de chiens de traineaux passionnent les Groenlandais ! Après une sélection des meilleurs attelages de chaque région, la demi-finale a lieu en mars à Ilulissat, avant la grande finale à Sisimiut. Plus qu’une course, les mushers sont vénérés tels des Dieux.
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“Les groenlandais considèrent leurs chiens comme des animaux de travail, ce ne sont pas des animaux de compagnie, loin de là. Ils vivent dehors toute l’année et quand il n’y a plus assez de neige, ils restent attachés à une chaîne pendant des mois jusqu’à l’hiver suivant. Selon la loi, les chiens doivent être attachés à partir d’un an et ils passent donc la quasi-totalité de leur vie enchaînés soit à un traîneau, soit à un piquet planté dans le sol.Les chasseurs d’ours, très respectés dans la société traditionnelle, ne peuvent avoir de succès sans un bon attelage. Les chiens sont donc bien nourris et bien entraînés pour éviter les blessures. Il peut arriver qu’un chien soit abattu d’un coup de fusil s’il se retrouve blessé à la suite d’un combat avec un ours par exemple, mais c’est simplement une autre vision du quotidien que la nôtre : un chien qui ne peut pas courir est une bouche inutile à nourrir. Ce n'est pas un manque d’empathie, cela ne fait jamais plaisir à un groenlandais de se séparer d’un de ses chiens, c’est un pragmatisme essentiel pour survivre dans des régions où la nourriture est rare et où la famille passe avant tout le reste.”
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La mémoire des ancêtres

Au sein d’une famille, lorsqu’une personne meurt, on ne prononce plus son prénom tant que celui-ci n’a pas été redonné à un nouveau-né du même sexe. Si, par exemple, la grand-mère meurt, personne ne prononcera son prénom, tant qu’une nouvelle fille ne prenne son prénom. Cette tradition a pour but de sauvegarder les âmes des anciens, leur savoir et leur force. Même si cette tradition a tendance à se perdre, elle existe encore, comme en témoigne Pierre : “Une amie a récemment perdu un nouveau-né et elle n’a jamais voulu me dire comment il s’appelait”.
Icebergs dans la baie, Groenland

Un peuple face à d’importants enjeux

1721 marque le début de la domination danoise avec pour conséquence une occidentalisation progressive du mode de vie des Groenlandais. Mais un tournant s’opère en 1950, lorsque le Groenland s’ouvre au libre échange, signifiant la fin du monopole danois. Si ce changement apporte de meilleures conditions de vie et des opportunités de formation et de travail, cela entraîne également une profonde crise identitaire, et avec elle, la hausse de l’alcoolisme et des suicides. En 1973, le groupe de rock Sumé sort un album en groenlandais, dénonçant cette assimilation à la culture danoise. Près de 20 % de la population achètera cet album, marquant un réveil de la population. En 1979, le Groenland obtient de former son propre gouvernement et son propre parlement, suivi en 1985 du retrait de la Communauté Économique Européenne et de l’adoption de son propre drapeau. En 2009, le Groenland accède à encore plus d’autonomie avec la reprise en main de ses ressources naturelles.

Aujourd’hui, le peuple groenlandais doit faire face à des enjeux géopolitiques et environnementaux d’ampleur. Avec le réchauffement climatique qui s’accélère et par conséquence la fonte des glaces, cela laisse entrevoir l’ouverture de nouvelles voies maritimes et l’accès à des minerais rares, tels que l’uranium.
Tiraillés entre la volonté d’exploiter ces minerais en vue de leur indépendance et celle de protéger l’environnement, les Groenlandais se retrouvent face à un dilemme, sans compter la pression exercée par les multinationales et certaines puissances mondiales.
Toutefois, ce réchauffement a permis de développer l’agriculture dans la partie sud de l’île, et d’ouvrir une école d’agriculture à Qaqortoq.

Beaucoup d’investissements ont également été réalisés pour le développement du tourisme, offrant ainsi de nouvelles perspectives aux Groenlandais, qu’ils devront réussir à conjuguer avec la préservation de leur terre, leur identité et leurs traditions.
Baleine à bosses au Groenland - Blog